Au moment où la communauté internationale célébrait la journée internationale des Archives le 09 juin dernier, il était opportun de restituer à ces institutions mémorielles tout le rôle qu’elles tiennent dans la société universelle du savoir, alors même que ce rôle n’est pas toujours bien appréhendé. Souvent considérées en effet par une certaine opinion, en particulier africaine, à tort ou à raison, comme des lieux hideux ou des repoussoirs souterrains où gisent des piles de documents antiques plus ou moins accessibles et bien conservés, les archives n’ont pas toujours suscité beaucoup de vocations chez les jeunes générations.

Le sort d’un grand nombre d’archives existant sur le territoire camerounais (pour ne parler que de cette seule situation) par exemple est malheureusement encore là aujourd’hui pour témoigner du grand désintérêt dont souffrent ces infrastructures de la connaissance: dévastées par l’obsolescence des structures pour les unes, pillées ou mal conservées pour les autres, manquant de ressources humaines et financières pour s’entretenir et se régénérer pour certaines encore.

Et pourtant à côtés des bibliothèques et des musées, les archives sont incontestablement la matrice autour de laquelle se constitue, se perpétue et se renouvelle le savoir à travers les époques et les générations. L’avènement des technologies numériques a davantage amplifié ce rôle matriciel, au point que la trilogie mémorielle constituée autour des bibliothèques, des musées et des archives tend à se cristalliser autour d’un noyau pivot, à savoir les Archives Numériques.

En effet, la dématérialisation des supports d’information, la possibilité d’agrégation des objets documentaires multiformes ayant existé de façon disparate à l’aire pré-numérique (texte, vidéo, audio, graphique, animation, réalité augmentée, etc.) ont définitivement mis en orbite les Archives Numériques en tant qu’industries contemporaines de la connaissance et de la mémoire. D’ailleurs, l’émergence du terme anglo-saxon « Digital Library » (Bibliothèque numérique) pour désigner l’ensemble des pratiques numériques visant la virtualisation et la mise en réseau de l’information a fait naître une nouvelle conception de l’information documentaire, de sa mobilisation à sa consommation, en passant par son organisation, sa conservation, et son accessibilité.

Comment ne pourrait-on pas, dans ces conditions, saluer la vison avant-gardiste du CERDOTOLA qui s’est résolument inséré dans la dynamique de la révolution numérique en se dotant d’une infrastructure archivistique moderne? Les Archives des Langues et des Ressources Orales d’Afrique du CERDOTOLA plus connues sous leur acronyme anglo-saxon ALORA constituent l’unique infrastructure du genre dans toute l’Afrique à l’heure actuelle. Elles hébergent des collections documentaires de plus en plus importantes provenant aussi bien de la numérisation des supports analogiques et papiers, que des activités de documentation par lesquelles sont générées des « digital-born objects ». Quelques-unes de ces collections méritent d’être signalées:

  • la collection ALCAM comportant les listes de mots compilées dans le courant des années 70-80 dans le cadre du projet d’Atlas Linguistique d’Afrique Centrale (ALAC), puis du projet d’Atlas Linguistique du Cameroun (ALCAM);
  • la collection musicale EMAC (Ethnomusicologie d’Afrique Centrale) abritant des musiques patrimoniales recueillies au cours de la décennie 80 en République Démocratique du Congo (ancien Zaïre), au Rwanda, au Gabon, au Congo (Brazzaville), au Burundi, en République Centrafricaine, et au Cameroun;
  • la collection multimédia du Département des Langues et Cultures Camerounaises de l’Ecole Normale Supérieure de l’Université de Yaoundé I;
  • la collection du projet KPAAM-CAM (Key Multidisciplinary Approaches in African Multilingualism – Cameroon) hébergeant des enregistrements video, audio et photo qui documentent les pratiques sociales et culturelles des peuples du Lower Fungong dans la Région du Nord-Ouest Cameroun;
  • la collection du projet de Documentation de la langue et des traditions orales du peuple Bati;
  • la collection multimédia de l’Institut des Langues Africaines (ILA) de l’Université Houphouët Bobigny d’Abidjan;

ALORA est par ailleurs membre du réseau des Archives Numériques Internationales dénommées DELAMAN (Digital Endangered Languages and Music Archives Network: http://www.delaman.org/members/alora/).

En plus d’être des lieux de mémoire et des industries du savoir, les Archives Numériques ont également vocation à devenir des lieux virtuels de divertissement instructifs; à l’image des Archives Numériques des Langues du Pacifique (PARADISEC: http://www.paradisec.org.au/), ALORA a l’ambition de recréer virtuellement l’histoire des peuples africains, les trajectoires migratoires, les modes de vie ancestraux etc., en modélisant numériquement les résultats de la recherche de terrain et en y combinant les prouesses technologiques visant à créer une « réalité augmentée ».

L’atteinte d’une telle ambition passe toutefois par la sensibilisation du grand public et des acteurs scientifiques et culturels en particulier sur la nécessité d’intégrer les pratiques numériques dans leur démarche de travail. Le temps du cloisonnement disciplinaire et institutionnel doit céder la place à une aire de la mutualisation, du partage, de la ré-utilisation, et du ré-investissement heuristique. Ce n’est qu’à cette condition que les Archives Numériques tiendront pleinement leur place en tant qu’incubateurs du savoir et des connaissances en vue de l’émergence de notre continent.

Emmanuel Ngué Um (Chef du Projet ALORA)

http://alora.cerdotola.org/


 

 

Présentation du serveur ALORA lors de la Conférence Internationale du CERDOTOLA 2015, Juin 2015